Ces malades des ondes électromagnétiques, qui "survivent"
Le Monde.fr | • Mis à jour le |Par Audrey Garric
Ils souffrent de maux de tête, brûlures, insomnies ou encore de tachycardie, des symptômes qu'ils attribuent aux ondes des téléphones portables, réseaux Wi-Fi ou antennes-relais. Ces personnes dites électrohypersensibles (EHS), une maladie non reconnue en France, ont développé une intolérance plus ou moins sévère aux champs électromagnétiques. Au point de devoir multiplier les consultations médicales, aménager leur logement, porter des protections et parfois fuir toute civilisation.
Les 26, 27 et 28 août, ils se sont réunis dans la vallée isolée de Boulc (Drôme) pour demander la mise en place "urgente" de zones blanches, sans aucune radiofréquence. Portraits de ces malades des ondes.
Lire : "Les électrosensibles à la recherche d’une terre vierge de toute onde" et "Electrohypersensibles : une souffrance mal comprise et peu prise en charge"
- Anne Cautain, installée dans les écuries d'une maison forestière
Elle se sent "brûler" à la moindre onde, qu'il s'agisse du Wi-Fi, des téléphones mobiles, des appareils électroménagers, mais aussi des fréquences extrêmement basses (50 Hz) générées par le passage du courant dans les câbles électriques. Anne Cautain, 57 ans, est une très grande électrohypersensible. "Depuis 2009, je suis un véritable radar : je sais qu'à tel endroit, il y a une antenne ou un transformateur. Je ressens le courant jusque dans mes terminaisons nerveuses", raconte-t-elle, les joues écarlates, les pieds nus et le poignet relié à un piquet en acier enfoncé dans la terre, pour se "décharger".
Le voyage pour rejoindre Boulc, depuis les Hautes-Alpes, où elle vit dans les anciennes écuries d'une maison forestière éclairées à la bougie et chauffées au poêle, l'a épuisée. Elle l'a passé enveloppée de couvertures dans un camion transformé en cage de Faraday (une enceinte métallique étanche aux champs électromagnétiques), conduit par sa fille, dont elle dépend totalement. Finalement, elle restera très peu sur le site, où quelques ondes lui parviennent, malgré l'isolement.
Anne Cautain n'a pas toujours été intolérante aux radiofréquences. Sessymptômes sont survenus six mois après l'installation de bornes Wi-Fi à la cité universitaire de Nice, où elle travaillait comme femme de ménage. "J'ai commencé à ressentir d'intenses souffrances neurologiques, des vertiges, des pertes de mémoire et mon sommeil était fractionné, décrit-elle. Puis, je n'ai plus supporté mon appartement, situé près d'antennes-relais." Elle le quitte du jour au lendemain. S'ensuit une année d'errance à fuir les ondes, passée entre une yourte au fond d'une vallée, une cave de restaurant, une voiture blindée sur un parking, une caravane et une cabane à jardin tôlée. "Ma souffrance n'était plus qu'une longue dégringolade. Je ne savais plus où me mettre, je voulais allersous terre", dit-elle encore, une tristesse dans la voix.
C'est à ce moment qu'elle entend parler d'une grotte, à Saint-Julien-en-Beauchêne (Hautes-Alpes), dans laquelle elle vivra trois ans, avec deux autres femmes également "électro". Les habitants du hameau, solidaires, aménagent la cavité (avec du plancher pour poser des lits et des bâches contre la pluie), d'autres leur apportent des paniers de fruits et légumes et de l'eau, et un voisin leur prête sa douche. Malgré tout, la vie est rude : la température dépasse rarement les 10 °C, la lumière est faible et Anne Cautain perd 14 kilos. Les trois femmes finiront par quitter leur refuge lors de l'installation de la 3G dans le village, qu'elles disent avoir "sentie" avant d'en être informées.
"Je sais que je passe pour une folle et une marginale, confie-t-elle, lucide. Mais même si c'est extrêmement dur à vivre, je n'ai pas le choix. Je ne regarde pas le passé, ni ce que je perd dans la vie : je survis." Touchant une pension d'invalidité de la Sécurité sociale, elle dit "espérer pouvoir un jour guérir et retrouver une vie presque normale, indépendante, dans une zone blanche".
- Quentin, ancien trader qui vit et travaille à Paris
Il est à l'opposé de la caricature de l'électrosensible marginal et dérangé. Quentin, 47 ans, ancien sales trader (négociateur-vendeur) dans de grandes banques internationales, intolérant au Wi-Fi depuis 2010 – mais sensible aux champs électromagnétiques depuis des années –, continue de vivre et travaillerà Paris, comme professeur en écoles de commerce et formateur indépendant pour des établissements bancaires. Des lieux où les ondes foisonnent.
"Les journées m'épuisent, entre les brûlures à l'intérieur du corps, les picotements et les maux de tête. Et j'ai du mal à récupérer la nuit", témoigne-t-il. Parfois, il doit lever le pied. "Je devais partir à New York en juillet, pour donnerune formation très bien payée. Mais j'étais à bout. J'ai dû annuler au dernier moment", regrette-t-il, pointant une maladie "très pénalisante dans la vie professionnelle". "Avant je travaillais à New York, Chicago et Londres. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Je passe un tiers de mon temps à essayerde me soigner et aller mieux. Cela a changé ma vie."
Depuis l'apparition de ses symptômes, Quentin a déménagé trois fois, pour finalement s'installer près du bois de Vincennes, cet été. Chez lui, aucun Wi-Fi (il a aussi demandé à ses voisins d'éteindre le leur la nuit), un téléphone filaire, un réveil à piles, et des rideaux de blindage. Il enchaîne les rendez-vous chez les médecins et court fréquemment dans les bois. "Au final, je n'ai pas de vie de couple, pas d'enfant, et une vie sociale très perturbée. L'électrosensibilité, ça isole."
- Isabelle, obligée de dormir dans sa cave
Elle porte une casquette enveloppée d'un maillage de fils de cuivre et d'argent. "Cela atténue les maux de tête, les fourmis que je ressens dans une moitié de mon crâne et les troubles du langage", explique-t-elle. En 2008, Isabelle, 52 ans, podologue– qui préfère rester anonyme – est reçue en urgence par un neurologue pour ces symptômes. Après une batterie de tests, le médecin conclut qu'elle est en parfaite santé.
"J'ai ensuite compris que mes maux étaient entraînés par les antennes-relais installées au sommet d'un château d'eau à 130 mètres de chez moi, assure-t-elle. A chaque fois que je quittais mon domicile, je me sentais mieux, et quand je revenais, cela empirait de nouveau."
Isabelle ne pourra pas déménager, son mari refusant de quitter la maison famiale iséroise. Elle fabrique alors un lit à baldaquin fonctionnant comme une cage de Faraday, qu'elle installe dans sa cave. Et dès qu'elle peut, elle fuit son domicile, comme entre 2011 et 2013, où elle se réfugie en Dordogne. "Ma vie s'est retrouvée bouleversée, témoigne Isabelle, aujourd'hui à la retraite. Quand j'arrive à ne pas être trop exposée, je me sens mieux."
- Philippe, qui a quitté son travail, son logement et sa femme
C'est en 2007 que tout bascule pour Philippe Tribaudeau. Professeur de technologie, il travaille presque tout le temps derrière un écran, en présence de vingt-quatre autres ordinateurs dans la salle. La chambre de son appartement de fonction se situe en outre à 15 mètres du transformateur de son lycée, près de Dijon. "En trois mois, je n'ai plus supporté les ondes. Je ressentais des brûlures sur la peau, des picotements partout et une énorme fatigue, raconte-t-il. J'ai réussi à finir l'année mais je n'ai pas pu faire la rentrée suivante." L'ancien enseignant enchaîne alors un an d'arrêt de travail, puis trois années de mise en disponibilité sans solde.
"J'ai vécu un an en camping-car en pleine forêt, parfois entouré d'un mètre de neige. Ma femme, qui m'a soutenu pendant quatre ans, me ravitaillait toutes les six semaines." Il occupe illégalement la forêt de Saoû dans la Drôme, entre juin et octobre 2010, avant d'être expulsé par les autorités. "Nous avons besoin d'une zone blanche pour nous réfugier. L'électrosensibilité, c'est une vie d'errance, d'isolement, de précarité, constate-t-il. Il faut essayer de le vivre au mieux, mais partir de chez soi, prendre la route et aller nulle part, c'est une forte pression psychologique."
Lui dit avoir bien vécu ce "saut dans le vide". "J'étais bien préparé à vivre dehors : je suis sportif et j'aime la montagne. L'isolement ne me pèse pas, livre l'homme au visage buriné par ces mois de vie au grand air. J'ai reconstruit une nouvelle vie."
Ce nouveau départ, Philippe Tribaudeau, qui touche aujourd'hui une retraite pour invalidité, l'a pris dans la vallée isolée de Boulc, dans une ferme semi-enterrée qu'il a dénichée il y a un an. Il y a installé son association, Une terre pour les EHS, et y accueille régulièrement des électrosensibles de passage. "Tout est toujours disjoncté chez moi, explique-t-il. J'utilise mon ordinateur de temps en temps, un quart d'heure maximum, en travaillant à trois mètres de l'écran grâce à des câbles très longs." L'homme, également devenu multichimicosensible (intolérant aux odeurs de lessive, parfum ou à la pollution), doit aussi aérer seulement en cas de brise ascendante. Et de conclure : "Je vis dans un bocal."
- Maïlys, étudiante en master de toxicologie
"Quand j'avais 14 ans, j'ai eu une crise d'angoisse en regardant un film, puis des vertiges et un gros coup de fatigue. Cela a duré des mois", raconte Maïlys, une jolie blondinette qui arbore une polaire bleue, assortie à ses yeux. Sa mère, kinésithérapeute et elle-même électrohypersensible, associe ces symptômes à l'installation d'une antenne-relais dans leur quartier de Romans (Drôme).
"On a revu le système électrique de la maison, éloigné le lit du mur, enlevé tout ce qui émet des fréquences dans la chambre et je me protège avec des tissus, des casquettes et des écharpes anti-ondes, raconte la jeune fille. J'ai quand même un téléphone portable, mais je ne l'allume très peu."
Depuis, Maïlys, aujourd'hui âgée de 21 ans, a réussi à évacuer une partie de ses douleurs grâce à l'aide d'un sophrologue. Elle a pu poursuivre des études de santé environnementale et va entrer en master 2 de toxicologie à Paris. "J'ai envie de vivre ma vie avec des jeunes de mon âge, de cesser d'être en retrait. Je vais même chercher un appartement en colocation. Mais j'appréhende un peu l'arrivée dans une si grande ville", avoue-t-elle. Si ses proches acceptent de couper le Wi-Fi en sa présence, ils restent sceptiques sur l'origine de ses maux. "Pour ma famille, notamment mes oncles et tantes, c'est un sujet tabou. Ils pensent que c'est dans ma tête. Je leur fais peur."
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These patients electromagnetic waves, which "survive"
Le Monde.fr | • Updated | By Audrey Garric
They suffer from headaches, heartburn, insomnia or tachycardia, symptoms they attribute to the waves of mobile phones, Wi-Fi networks or antennas relay .These people say EHS (EHS), an unrecognized disease by France , have developed a more or less severe intolerance to electromagnetic fields. To the point of having to increase medical consultations, develop their housing , wearprotections and sometimes flee civilization.
26, 27 and 28 August, they gathered in the secluded valley Boulc (Drôme) to request the establishment "urgent" white areas with no radio frequency. Portraitsof these waves sick.
Read: "The electro looking for a virgin land of any wave" and "EHS: a misunderstood suffering and little support"
- Anne Cautain installed in the stables of a forest house
She feels "burned" on any wavelength, whether the Wi-Fi, mobile phones, home appliances, but also extremely low frequency (50 Hz) generated by the flow of current in electrical cables . Cautain Anne, 57, is a very large électrohypersensible "Since 2009, I am a real radar: I know that such a place, there is an antenna or a transformer I feel the power into my nerve endings..",she says, scarlet cheeks, bare feet and wrist attached to a pressed steel stake into the earth, to "discharge".
The journey to reach Boulc from the high Alps, where she lives in the former stables of a forest house lit by candles and heated the stove, was exhausted. She spent wrapped in blankets in a truck converted into a Faraday cage (a sealed metal enclosure to electromagnetic fields), led by his daughter, on which it depends entirely. Finally, it will remain very little about the site, where a few waves reach him, despite isolation.
Anne Cautain has not always been intolerant of radio frequencies. Its symptoms occurred six months after the installation of Wi-Fi hotspots in the university city of Nice , where she worked as a maid. "I started to feel d intense neurological pain, dizziness, memory loss and my sleep was divided, she describes. Then I no longer supported my apartment, located near antennas. "She leaves overnight. It follows a year of wandering away the waves passed between a yurt at the bottom of a valley, a restaurant cellar, a car on shielded parking, a caravan and a shack garden tôlée. "My suffering n ' was more than a long tumble. I did not know where I put , I wanted to go underground, "she said again, a sadness in his voice.
That's when she hears talk of a cave in Saint-Julien-en-Beauchene (Hautes-Alpes), in which she will live three years with two other women also "electro".The inhabitants of the hamlet, supportive, shall adjust the cavity (with floor to ask beds and tarpaulins against rain), others bring their baskets of fruits and vegetables and water, and a neighbor lends them a shower . Still, life is tough: the temperature rarely exceeds 10 ° C, low light and Anne Cautain lose 14 pounds. The three women will eventually leave their refuge during the installation of 3G in the village, they say they have "felt" before being informed.
"I know I'm going for a crazy and a marginal says she, lucid. But even if it is extremely hard to live , I do not have a choice. I do not look at the past, or what I lose in life: I survive "Touching a disability pension from Social Security, she said" hope. able one day to heal and regain an almost normal life, independent, in a white area."
- Quentin, a former trader who lives and works in Paris
It is the opposite of the caricature of the marginal electro and disturbed. Quentin, 47, former trader dirty (negotiator seller) in major international banks, intolerant Wi-Fi since 2010 - but sensitive to electromagnetic fields for years - continues to live and work in Paris as a teacher in schools commerce and independent trainer for banks. Places where waves abound.
"The days wear me between burns inside the body, tingling and headaches. And I have a hard time recovering at night, "he reflects. Sometimes it has to raise the foot. "I had to leave New York in July to give a training very well paid. But I was out. I had to cancel at the last moment, "he regrets pointing disease "very detrimental in the workplace." "Before I worked in New York, Chicago and London. Today, it is no longer possible. I spend a third of my time to try me healand get better. It changed my life. "
Since the onset of symptoms, Quentin has moved three times, finally s' installnear the Bois de Vincennes, this summer. At home, no Wi-Fi (he also asked his neighbors to turn off theirs at night), a wired phone, battery alarm, and shielding curtains. He followed the appointment you among physicians and frequently runs into the woods. "In the end, I have no love life, no children, and a very disturbed social life. Electrosensitivity, it insulates."
- Isabelle forced to sleep in his basement
She wears a hat wrapped with a copper mesh son and money. "This alleviates headaches, ants I feel in one half of my skull and language disorders," she says.In 2008, Isabella, 52, podologue- who prefers to remain anonymous - is received urgently by a neurologist for these symptoms. After a battery of tests, the doctor concluded that she is in perfect health.
"I then realized that my troubles were caused by relay antennas installed on top of a water tower 130 meters from home, she said. Each time I left my home, I feel better, and when I came back, it got worse again. "
Isabelle can not move , her husband refused to leave the house famiale Isère.She makes a canopy bed functioning as a Faraday cage, she moved into his cellar. And as soon as she can, she fled her home, as between 2011 and 2013, where she took refuge in the Dordogne. "My life was left upset, shows Isabella, now retired. When I get to do not be too exposed, I feel better. "
- Philippe, who left his job, his home and his wife
It was in 2007 that everything changes for Philippe Tribaudeau . Technology teacher, he works almost all the time behind a screen in the presence of twenty-four other computers in the room. The room of his official residence is also 15 meters from the transformer's secondary school, near Dijon. "In three months, I have not supported the waves. I felt burns on the skin, tingling anywhere enormous fatigue, he said. I managed to finish the year but I could not do the next school year. "Former teacher then connects a year off work, then three years layoff without pay.
"I lived a year in a camper in the forest, sometimes surrounded by a meter of snow . My wife, who supported me for four years, was supplying me every six weeks. "He has illegally occupied forest Saoû in Drôme, between June and October 2010, before being expelled by the authorities. "We need a white area for us refugees. Electrosensitivity is a life of wandering, isolation, precariousness,he says. We must try to live the best, but from home, take the road and go anywhere, this is a strong psychological pressure. "
He said he lived well this "leap into the void." "I was well prepared to live without: I am athletic and I love the mountains Isolation does not weigh me book the man in the face weathered by these months of outdoor life I have rebuilt a new one.. life. "
This new start, Philippe Tribaudeau which now affects a disability retirement, took in the secluded valley Boulc in a half-buried farm he has unearthed there one year. There has installed its association, A land for EHS and regularly hosts passage electro. "Everything is always tripped at home, he says. I use my computer from time to time, a quarter of an maximum time, working three meters of the screen using very long cables. "The man, also became multichimicosensible (intolerant of laundry smells, perfume or pollution) should also airing only in case of upward breeze . And concluded : "I live in a jar."
- Maïlys student in Toxicology Master
"When I was 14, I had an anxiety attack watching a movie, and dizziness and fatigue wallop. This went on for months," said Maïlys, a pretty blonde who wears a blue fleece that matched her eyes. His mother, therapist and herself électrohypersensible combines these symptoms to the installation of a relay antenna in their neighborhood Romans (Drôme).
"We reviewed the electrical system of the house, the bed away from the wall, removed anything that emits frequencies in the room and I protect myself with fabrics, caps and anti-wave scarves, tells the girl. J 'was still a cell phone, but I do very little lighter. "
Since Maïlys now aged 21, managed to evacuate some of its pain through the help of a relaxation therapist. She was able to pursue environmental health studies and will enter into master 2 Toxicology in Paris. "I want to live my life with people my age, cease to be back. I'll even find an apartment roommate. But I fear a little arriving in a big city, "she says. If his family agree to cut the Wi-Fi in its presence, they remain skeptical about the origin of his pain. "For my family , including my uncles and aunts, it is a taboo subject. They think that it is in my head. I make them afraid. "
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